lundi 19 février 2024

2024.02.19.Note de lecture sur "L'ère de santé" par Angèle Paoli publiée le 19 février 2024 sur "Terres de femmes"

 La lecture d'Angèle Paoli de mon livre, 

L'ère de santé, Atelier rue du soleil, 2023

publiée le 19 février 2024 

sur "Terres de femmes" :

 

https://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2024/02/sanda-vo%C3%AFca-l%C3%A8re-de-sant%C3%A9-lecture-dang%C3%A8le-paoli.html?fbclid=IwAR0ZM06RUDgcwvMWYBs7WmU0ELwsZvKHcZcZyUAUmm843ZIp0Kay5epWQ3w

 


Angèle Paoli sur « L’ère de santé »

Note de lecture publiée le 19 février 2024 sur « Terres de femmes »

 

                                   " Des nuances de couleurs filtrent ... "

                                         Selfy by Sanda Voïca

 

La mélodie de Voïca

Lire Sanda Voïca, c’est, à chaque nouveau recueil, s’immerger dans une langue poétique autre. À la fois familière et déroutante. De cette ambivalence naît le plaisir de la découverte et de la lecture. Ainsi de L’ère de santé, récemment reçu. Publié à l’Atelier rue du soleil, ce recueil est une sorte de journal tenu au quotidien. Avec un poème par jour sur une durée d’un mois et demi. Chaque poème, numéroté, est daté avec précision : « Dimanche, le 1er mai 2022 »/« Vendredi, le 10 juin 2022 ». Seul le poème 35, qui clôt le recueil est suivi d’un « (sans date) ». Et la lectrice de s’interroger ou d’interroger la poète amie : pourquoi cet arrêt brutal, sur un « (sans date) » ? Ce jour-là était-il un lundi 2 ? Ou un autre jour ? Que s’est-il passé au lendemain du 1er mai pour que ce jour se distingue ou s’ablative ainsi des autres ?

Je dis « s’ablative » pour deux raisons. Lesquelles me sont soufflées par la lecture du recueil. D’abord parce qu’il y a une séparation entre ce poème unique en son genre (non daté) ; et parce que la question de « l’ablatif », cas emprunté à la langue latine, intéresse la poète. Sauf que la forme verbale telle que je l’ai employée n’est pas attestée dans le dictionnaire et que je l’ai inventée. Cela pourrait me fournir un troisième motif dans la mesure où Sanda Voïca, qui possède un art très personnel de la jonglerie verbale, affectionne les néologismes. En témoignent les inventions qui égrènent ses poèmes. « les trous noirs rhizoment/ Je m’empoissonne/ « des pensées…voïciennes »/« cathédraliser ». Ou encore « batifollement !» … Voici donc l’adverbe-valise – batifoler-follement- qui est tout naturellement amené par sa proximité phonétique avec les adjectifs « oblatif » et « ablatif ». Ainsi Sanda Voica batifole-t-elle joyeusement dans la langue et ce papillonnement enjoué fait de butinerie inventive s’inscrit tout à fait dans l’époque qu’elle traverse en ce mois de mai : « une ère de santé ». Or, comme s’en questionne la poète :

« Et quel rapport entre oblatif et ablatif ? »

Apparemment aucun.

À une voyelle près en effet on bascule d’un terme à connotation quasi religieuse à un autre appartenant à la déclinaison latine. Le passage d’un terme à l’autre se fait ici par les allitérations en « b », en « t », en « l », en « f » et s’affirme dans une désinence riche « blatif » qui les réunit. D’un côté l’oblatif - « mon amour oblatif » - qui porte en lui le mouvement du don, voire du sacrifice ; de l’autre le « a » privatif qui marque la séparation d’avec. En réalité, ce poème dix-sept, est une forme d’autoportrait de la poète en fantaisie et joie, qui définit ces deux termes comme des « activateurs d’extase ». Des vecteurs, en tout cas, susceptibles de replacer la poète dans une « ère de santé ». Dans une volonté non seulement de se pacifier elle-même mais aussi de remettre le plaisir au centre de sa vie. Comme cela était auparavant :

« Mes batifolages divers :
nombreux et joyeux sont les chemins
de mon existence. »

Cela était. Avant la perte de sa fille Clara.

D’où l’injonction présente qui clôt le poème :

« Batifoler follement :
Vivre batifollement ! »

Mais cet engouement printanier reste fragile. Consciente de cette fugacité, la poète s’accroche à ce qu’elle a un temps aimé : dessins, couleurs, peintures. Et même « icônes » :

« Je sens le même désir
-attirance inexplicable-
de retourner vers des icônes :
dans des églises différentes-
non pas pour leur beauté,
ni pour leur sainteté,
ou peut-être beauté et sainteté
ne font qu’un… »

Cette fragilité se traduit par les interrogations et les exclamations qui occupent ses poèmes. En même temps que par l’instabilité qui s’y révèle. Tout semble en effet soumis au balancement, à l’équilibre instable qui expose la poète au tremblement, aux oscillations, aux troubles qui la traversent. À l’impossibilité de se déterminer et de choisir :

Mais peut-être aussi, en définitive, au renouveau.

« Entre deux infinis
Mon esprit balance.

Usé le zéro.
Usé le un.

Mon air tout neuf. »

Ailleurs, la poète s’affirme en insurgée de la vie. Qui ne se soumet pas aisément à l’ordre naturel des choses. Elle s’échappe et invente. C’est une magicienne d’images inédites, jusqu’à l’incongru, un peu sorcière de mots :

« Je m’empoissonne de plus en plus ».

Les dessins, les mots, les « révolutions intimes », les mutations et les métamorphoses « gélatineuses », ses tours et ses « détours » sont autant de subterfuges pour anéantir le vide qui guette ; l’obliger à reculer. Place aux ébullitions, au fantasque, à la jouissance, aux émois bouillonnants. Et pourquoi pas aux « extases » ? Elle se fait « collectionneuse » insatiable … « de regards renversés… de surprises guettées … de pensées jamais les miennes / et tellement voïciennes… (de silences, longtemps, /de mots, ensuite, /de leur balancement, maintenant). Sanda Voïca la jongleuse, l’inventive de rythmes et d’images, pleine de vie bouillonnante. Mais rien n’est jamais acquis, ni définitif. Très vite la poète se reprend, se corrige, se tance. Elle n’est pas dupe et voit bien que tout cela lui fait un habit qui lui colle à la peau. Qu’y a-t-il sous la superposition de vêtements et sous l’armure protectrice dont elle s’affuble ? Non, Sanda Voïca n’est pas dupe : de cet être caméléon qui pratique le camouflage à la perfection, elle voit tous les assemblages. Elle n’en est pas moins tremblante et instable. Mais toujours lucide. Les paradoxes qui la mènent sont toujours là, derrière les apparences. Des nuances de couleurs filtrent qui viennent contrebalancer les illusionnismes. Une lecture en « creux » s’impose qui laisse filtrer ce qui agite intérieurement la poète. La lectrice est prise à témoin, qui ne doit pas se laisser prendre :

« Sur la plaine infinie de la joie
/ nonchalance/lucidité
je penche légèrement vers ma droite
sous un vent intérieur :
l’essentiel arrivé et si vote parti
qu’il ne me reste plus
que quelques mots creux
vous venez de les lire. »

Et cet aveu d’elle-même, corollaire des vers précédents, sur lequel se ferme le poème :

« L’extrême de mon essence
à jamais caché
à jamais montré :
ici et là.
Partout. »

Reste sa relation à l’autre, retrouvée, semble-t-il, avec le mystérieux « Y » de « La vie en mauve » :

« Le Y me tente –
que dis-je : je vis
dans son vertige
et je le chante »

Ainsi « La mélodie de Voÿca » réenchante-t-elle le monde, ouvrant de nouveaux espaces dans « la terre des mots » :

« Sillons où glisser,
avancer ou pas.
Marcher dans mon extase. »



jeudi 15 février 2024

2024.02.15.Note de lecture sur "L'ère de santé" par Christophe Stolowicki, publiée le 15 février 2024 par Fabrice Thumerel sur Libr-critique

  Note de lecture sur L'ère de santé

par Christophe Stolowicki

publiée le 15 février 2024 sur Libr-critique par Fabrice Thumerel :


http://t-pas-net.com/librCritN/2024/02/15/chronique-sanda-voica-lere-de-sante-par-christophe-stolowicki/?fbclid=IwAR3sticvc0WaK06VzyRiG6RsZdBs_RytgBEUyfkFEWc-ZB2W-JnD0uQRlAU

 


 

 

Christophe Stolowicki :

Sanda Voïca, L’Ère de santé, Atelier rue du soleil, 2023, non folioté (35 poèmes), 40 pages, 12 €.

 

Un lyrisme se circonscrit à deux mains. Un printemps de l’autocélébration charnelle (longtemps autotélique, puis s’ouvrant à « l’amour […] tripaille quotidienne ») et verbale implose, explose, exulte en ce mois de mai 2022, surtout à son début, où un poème par jour au moins trace son sillon, lâche son sillage, déployant plusieurs couleurs de l’arc-en-terre, ce Clair de terre d’André Breton. Fécondité – que l’accent roumain protège de tout un corps de femme.

Lancé le 1er mai comme le premier vers de cette suite, « S’auto-prier », déjà assez explicite (« sous l’explosion de joie / il s’en-chair-e encore plus »), cosmique bien au-delà de simples racines (« Les trous noirs rhizoment », dès le 2 mai), tandis que le 3 mai « Les poissons montent au ciel » et que l’autrice, celle qui rime avec motrice, s’« empoissonne / de plus en plus » ; après un retour sacerdotal dans un second poème du même jour dans sa Roumanie natale (où elle enseignait le russe) vers de ruisselantes « icônes [dont] beauté et sainteté / ne font qu’un » ; à points mis sur les i, ceux de son patronyme Voïca, points doubles et triples, et triples verticaux, voire sur un y, « j’auto-prie » n’attend pas au-delà du 12 mai pour révéler que « L’envie – si particulière / de jouir / me centre – recentre – décentre / à la fois [pour] Aller au bout de mon désir / et avoir l’écho de son écho […]// Et … un double orgasme : / Orgasmes jumeaux / nés l’un après l’autre, à quelques / dizaines de secondes seulement », bifides comme un y.

« La nature a horreur du vide – on dit. / On le prouve / ou on l’infirme. // Le vide s’adresse au vide – Vérité je vous dis. // Le vide parle au vide. » De tiret en tiret, de vers en vers on comprend mieux pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien selon Leibnitz.

« Entre 0 et 1 / Entre zéro et un » la mathématique n’est jamais assez élémentaire pour une âme de poète.

« Du lit au lit : par le sommeil heureux / Par les songes du jour : / une vie de grâce » : L’Ère de santé substitue aux ères géologiques les privilèges d’une féminité accomplie par nos temps de féminisme anti-sexe – aussi transgressive, titillant nos résistances en rhapsode, que l’a su en prosatrice Marguerite Duras dans ce qui est peut-être, malgré sa brièveté, son meilleur livre : L’Homme assis dans le couloir (1980).

Datés et numérotés, les poèmes, les feuillets se passent de pagination dans cette plaquette très épurée dont un lien à trois attaches renforce le brochage, donnant « envie […] / d’y retourner : / revenir vers le grain d’un certain papier » sensible aux doigts.